Traitement des tendinopathies par le travail isocinétique excentrique chez le sportif

Introduction

La prise en charge thérapeutique d’une lésion tendineuse doit tenir compte du stade lésionnel, évalué par la classification de BLAZINA, de la physiopathologie de la lésion et des facteurs favorisants associés. Parmi les techniques proposées, le travail musculaire excentrique doit avoir sa place non seulement dans le cadre du traitement, mais également à visée préventive (6).

L’utilisation d’un dynamomètre isocinétique permet d’évaluer la résistance à l’étirement du complexe musculo-tendineux et de contrôler le travail excentrique réalisé lors du protocole de rééducation. En effet, le travail excentrique, surtout s’il est réalisé en maximal et à vitesse rapide, est responsable de lésions musculaires, source de douleurs, de raideur et de déficit musculaire. Le contrôle de la vitesse et de la résistance développée par le patient grâce à l’utilisation du dynamomètre isocinétique est un gage de sécurité.

Classification de BLAZINA et incidence thérapeutique

BLAZINA classe les lésions tendineuses en 4 stades fonctionnels

– Stade I : Douleur survenant après l’effort sans répercussion sur l’activité sportive.

– Stade II : Douleur en début d’activité, disparaissant après l’échauffement et réapparaissant après l’exercice.

– Stade III : Douleur pendant et après l’activité avec altération progressive des performances sportives.

– Stade IV : Rupture tendineuse. Impotence fonctionnelle majeure.

Cette classification a l’avantage d’être simple et adaptée à la pratique médicale. Elle n’est pas corrélée à l’aspect histologique de la lésion, mais il existe une relation entre le stade lésionnel et les chances de réussite du traitement conservateur (10). Les stades I et II sont de bons pronostics alors que les chances de réussite du traitement médical sont plus faibles au stade III. L’intervention chirurgicale est proposée dans les stades IV et chez les sportifs motivés en cas d’échec du traitement conservateur dans le stade III.

Physiopathologie des tendinopathies

C’est l’hypersollicitation du complexe musculo-tendineux qui est responsable de la lésion qui touche l’insertion ou le corps du tendon. Il s’agit d’une pathologie microtraumatique de surcharge.

De nombreux arguments sont en faveur du rôle du travail musculaire excentrique dans la survenue des lésions tendineuses (11).

– Il existe une similitude entre le D.OM.S. (Delayed Onset Muscular Soreness) et la tendinite de stade I selon la classification de BLAZINA. Dans les deux cas, les douleurs surviennent dans les heures qui suivent l’arrêt de l’activité sportive. Le D.O.M.S, ou douleur musculaire d’apparition retardée a été décrit dans les suites d’un travail musculaire excentrique prolongé. Le D.O.M.S a une origine mécanique et métabolique (5). La lésion se produit dans un premier temps au niveau de la fibre musculaire à la jonction musculo-tendineuse pour s’étendre dans un deuxième temps au tissu conjonctif de soutien et au ventre musculaire.

– Il existe une différence notable lors de l’évaluation isocinétique entre l’aspect des courbes obtenu lors du travail concentrique et celui obtenu lors d’un travail excentrique.

Lors du travail concentrique, la force augmente progressivement pour atteindre son maximum au milieu du mouvement et décroître par la suite.

Lors du travail excentrique, la force augmente avec l’étirement du complexe musculo-tendineux pour atteindre son maximum près de la position extrême

Bien que les choses soient plus complexes et non élucidées, nous pouvons presque opposer le travail musculaire concentrique et le travail musculaire excentrique.

Au cours du travail concentrique, la force est produite par le tissu contractile. Le tissu conjonctif sert à transmettre la force développée au segment de membre sous-jacent. La force dépend du nombre de ponts actomyosiniques mis en jeu, donc de la longueur du sarcomère. La contraction musculaire nécessite l’utilisation d’ATP et la consommation de substrat pour reformer le stock de phospagènes d’où l’augmentation de la vascularisation locale.

Lors du travail excentrique, il y a contraction musculaire. Celle-ci a pour intérêt de mettre en tension le tissu conjonctif de soutien. La force augmente avec le degré d’étirement du complexe musculo-tendineux. Elle dépend principalement de la tension développée par le tissu non contractile.

Il n’y a pas ou peu de consommation d’ATP. Il n’y a pas d’augmentation de la vascularisation locale. Nous sommes dans les conditions idéales de lésions potentielles d’origine mécanique par  » hyper-étirement  » et métabolique par hypoxie tissulaire (14).

L’étude des gestes sportifs montrent que les lésions tendineuses concernent les groupes musculaires sollicités de manière excentrique lors de la pratique sportive. C’est évident pour l’aponévrose plantaire, qui est toujours sollicitée en étirement lors de la marche et de la course (13).

REBER a montré, chez le coureur à pied, que l’activité électrique du triceps est maximale lors du pas postérieur, c’est à dire lorsque le triceps travaille de manière excentrique (15). GIANGARRA n’a pas mis en évidence de différence d’activité électromyographique au niveau des épicondyliens lors du revers de tennis chez les joueurs jouant à une main et ceux jouant à deux mains (7). Or, l’épicondylite se rencontre exclusivement chez les joueurs qui effectuent leurs revers à une main. L’activité électrique est certes la même dans les deux populations, mais si le revers à deux mains sollicite les épicondyliens en raccourcissement, le revers à une main les sollicite en étirement et ce, d’autant plus que le joueur utilise le lift.

Les tendinites rotuliennes se rencontrent avec une fréquence extrême dans les sports de saut. Ces activités sportives sollicitent, au moment de l’impulsion et/ou de la réception, le quadriceps comme frénateur de la flexion de genou. Le quadriceps travaille, plus que dans la plupart des autres sports, de manière excentrique.

La physiopathologie de la coiffe des rotateurs est aujourd’hui très discutée. La théorie de NEER est remise en cause. Le conflit sous-acromial serait secondaire à la lésion et non la cause.

JOBE met en avant le rôle de la laxité de l’épaule dans l’explication de cette pathologie. Pour G. WALCH, il existe, parfois, un conflit dans la phase de l’armé entre la face profonde du sus-épineux et la partie postéro-supérieure du rebord glénoïdien.

Il faut, cependant, constater que les muscles effecteurs du mouvement qui travaillent de manière concentrique lors du lancer, du smash, du crawl et du papillon, sont les abaisseurs d’épaule, les rotateurs internes et le triceps.

Le sus-épineux, le sous-épineux et la longue portion du biceps sont les muscles antagonistes du mouvement. Ils sont sollicités comme frénateurs du mouvement. Ils travaillent de manière excentrique.

Facteurs favorisants et tendinopathies

La liste est longue (2, 8, 9). De la carie dentaire au trouble morphostatique en passant par la grippe et le déséquilibre musculaire, tout a pratiquement été dit. La plupart des facteurs mis en cause n’ont d’intérêt que dans le cadre de la prévention de la lésion.

D’autres facteurs doivent être pris en compte pour le traitement initial de la lésion. S’il est souvent difficile d’affirmer la relation de cause à effet existant entre surcharge tendineuse et trouble morphostatique, il existe manifestement des tendinopathies liées à l’existence d’un conflit mécanique. C’est notamment le cas dans les tendinopathies d’Achille d’insertion sur maladie de HAGLUND et des syndromes de la bandelette ilio-tibiale sur genu-varum. Encore faut-il préciser que le conflit survient en position d’étirement. La recherche des facteurs influant directement sur le traitement initial est indispensable avant d’établir la stratégie thérapeutique.

Place du travail musculaire excentrique dans les traitements des tendinopathies

STANISH préconise le travail musculaire excentrique pour traiter les tendinites d’Achille et rotulienne (16). L’objectif est d’améliorer la résistance du tendon pour l’aider à supporter les contraintes imposées par la pratique sportive.

Nous adhérons tout à fait à cette idéologie. Cependant, le travail musculaire excentrique est responsable de la lésion (11). Tant que le sportif poursuit son entraînement, la mise en place d’un renforcement excentrique ne fait qu’augmenter les contraintes sur le tendon et risque d’aggraver la lésion. Il est souvent très difficile d’arrêter de manière suffisamment prolongée un sportif au stade I et II de tendinite. Chez ces sportifs, des moyens simples, cryothérapie, étirements, MTP et diminution de l’activité excentrique lors de l’entraînement doivent suffir à améliorer la symptomatologie. La mise en place d’un protocole de renforcement musculaire excentrique demande du temps et l’arrêt de l’activité iatrogène. Il nous paraît indispensable au stade III, en l’absence de conflit mécanique, en complément du repos sportif et des techniques classiques de rééducation. Après chirurgie tendineuse, il est également nécessaire de proposer un travail de renforcement excentrique. En cas de conflit mécanique, il est insuffisant si les conditions du conflit mécanique ne sont pas levées.

Protocole de travail musculaire excentrique

STANISH préconise 3 séries de 10 répétitions. Le travail commence quand l’étirement passif du complexe musculo-tendineux devient indolore. La progression s’effectue en augmentant progressivement la vitesse et la résistance comme sur le tableau I (16). La survenue de douleur à la fin de la 3ème répétition est souhaitable ( » No pain, no gain « ). Cinq minutes de cryothérapie sont réalisées en fin de protocole (voir fiche pratique). (photo:log001)

En ce qui nous concerne, nous préférons réaliser le travail musculaire excentrique sur dynamomètre isocinétique car nous pouvons régler la vitesse de travail et le patient peut contrôler sur écran l’importance de l’effort fourni.

Le travail doit être indolore, afin d’éviter tout risque de souffrance tendineuse.

Travail musculaire excentrique sur dynamomètre isocinétique
Travail musculaire excentrique sur dynamomètre isocinétique

Le travail débute lorsque la contraction statique du muscle concerné, contre résistance manuelle, en course externe ne réveille pas de douleur que ce soit dans le cadre du traitement conservateur des tendinopathies ou dans les suites du traitement chirurgical. Nous travaillons à résistances progressives. Les vitesses de travail sont 30°/sec, 60°/sec et 90°/sec. L’évaluation excentrique initiale, qui doit rester infra-douloureuse, réalisée sur dynamomètre excentrique, permet un travail sous-maximal : 30%, 50% et 70% de la valeur mesurée. La durée du protocole est de 9 séances. Le rythme de travail peut être de 3 à 6 séances/semaine.

En pratique, afin de réaliser un travail musculaire bénéfique, il faut travailler en course externe.

Le quadriceps doit être travaillé hanche tendue afin de faire participer au mieux le droit antérieur.

Les ischio-jambiers, quant à eux sont travaillés en flexion de hanche.

Le triceps est travaillé, genou en extension, en décubitus ventral ou dorsal.

Le sus-épineux est travaillé dans le plan de l’omoplate en légère antépulsion d’épaule, l’axe du mouvement devant être perpendiculaire au plan musculaire.

Le travail du sous-épineux s’effectue coude fléchi à 90°, l’épaule en légère abduction et antépulsion d’épaule.

La longue portion du biceps est travaillée comme frénateur de la flexion du coude.

Les épicondyliens sont travaillés en extension de coude et en pronation.

Notre protocole est réalisé sur un dynamomètre isocinétique BIODEX réglé sur le mode passif. Le mouvement est imposé par la machine comme sur arthromoteur. On demande au patient de résister au mouvement imposé par la machine dans les conditions du protocole. Le retour s’effectue passivement.

Par exemple, lors du travail excentrique des ischio-jambiers, le patient s’oppose au mouvement d’extension de genou réalisé à vitesse constante par la machine sans dépasser la résistance programmée. Le retour en flexion s’effectue passivement.

L’évaluation en fin de protocole permet de contrôler la progression obtenue et de discuter la réalisation d’une nouvelle série de 9 séances. La reprise du sport est autorisée de manière progressive si le tendon est indolore et si la force excentrique est jugée suffisante. Ce protocole n’est peut être pas le plus performant, mais il n’a jamais été source de douleur dans notre expérience et a toujours permis des gains appréciables de force excentrique (+ 44,8% et + 62,8% respectivement après 9 à 18 séances) (12).

Peu d’études se sont intéressées à la récupération de la force excentrique en cas de lésions musculaire ou tendineuse.

FRIDEN (5) et BONDE PETERSEN (1) insistent, chez le sujet sain, sur le fait que seul le travail excentrique permet d’améliorer essentiellement la force excentrique du complexe musculo-tendineux.

DAVIES (3), quant à lui, montre le caractère spécifique de la vitesse et de l’amplitude de travail lors du travail concentrique sur la récupération musculaire.

Il nous paraît donc fondamental de réaliser un travail excentrique spécifique pour améliorer la résistance à l’étirement du complexe musculo-tendineux. Il nous paraît également primordial de réaliser un travail progressif et quantifié afin d’éviter l’aggravation de la lésion tendineuse ou la survenue de douleurs musculaires, complications connues du travail musculaire excentrique.

Travail excentrique et prévention des tendinopathies

A titre préventif, un renforcement excentrique des ischio-jambiers et des muscles de la coiffe des rotateurs, muscles antagonistes du mouvement, souvent lésés lors de la pratique sportive nous semble indispensable.

En effet, la pratique sportive développe la force et/ou la puissance des muscles effecteurs du mouvement au détriment des muscles antagonistes. Une préparation spécifique des muscles antagonistes du geste sportif dans leur rôle de frénateur du mouvement nous paraît être la solution adaptée à la prévention de la pathologie musculo-tendineuse au même titre que la réalisation d’exercices d’étirement.

En ce qui concerne les muscles agonistes qui travaillent de manière excentrique lors de la pathologie sportive (triceps, quadriceps, épicondyliens), la réalisation d’un travail excentrique de prévention en plus du travail réalisé lors de l’entraînement ne nous semble pas souhaitable.

Il peut être licite de proposer un travail excentrique spécifique en début de saison, afin de préparer le complexe musculo-tendineux à la pratique sportive. Mais c’est surtout le contrôle en cours de saison de l’activité musculaire excentrique réalisée par le sportif qui est primordial afin d’éviter toute modification brutale de l’activité, que ce soit dans le sens de l’augmentation ou de la diminution (phénomène de transition de Leadbetter). Un entraînement bien conduit doit permettre au sportif de supporter progressivement des contraintes de plus en plus importantes sans risque de lésion.

Conclusion

Le travail musculaire excentrique a pour objectif d’améliorer la résistance à l’étirement du complexe musculo-tendineux et lui permettre de supporter les contraintes imposées par la pratique sportive. Mais le travail excentrique est également responsable de la lésion. La réalisation d’un protocole excentrique de renforcement musculaire ne peut pas s’envisager si le sportif poursuit son activité sportive iatrogène.

Il justifie, de par le risque de complications, la réalisation de protocole progressif et donc quantifié. L’utilisation d’un dynamomètre isocinétique permet de contrôler le travail réalisé et de quantifier les progrès réalisés. Le retour sur le terrain n’est autorisé que si la force excentrique du complexe musculo-tendineux est restauré.

Bibliographie

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6. FYFE. I, STANISH. W : The use of eccentric training and stretching in the treatment and prevention of tendon injuries. Clinics in Sports Med, Vol 11, 3, 601-624, 1992.

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