Intérêt du travail excentrique dans la pathologie musculo-tendineuse du sportif et le renforcement musculaire

Travail musculaire excentrique sur dynamomètre isocinétique
Travail musculaire excentrique sur dynamomètre isocinétique

I – Travail musculaire excentrique et contraction musculaire

Lors du travail concentrique, la force développée provient des cellules musculaires. De l’ATP est nécessaire afin de permettre les liaisons entre les filaments d’actine et de myosine. L’énergie nécessaire à la reconstitution des molécules d’A.T.P. est fournie par les systèmes énergétiques aérobie et anaérobie lactique. KIND a montré que la force développée est maximale quand tous les ponts actamyosimiques sont engagés. Cela correspond a un angle donné de l’articulation. L’évaluation musculaire concentrique réalisée sur machine isocinétique confirme que la force est maximale pour une position articulaire déterminée.

Lors du travail excentrique, les données sont différentes. Il semblerait exister une activité préférentielle des fibres IIb. Il s’agit d’un travail anaérobie, l’association étirement-contraction musculaire bloquant la vascularisation. Enfin et surtout il n’y a pas d’utilisation de l’A.T.P. cellulaire. La production de force ne dépendant pas des métabolismes énergétiques utilisés lors du travail concentrique. Il n’y a, de ce fait, pas de modification de l’activité cardio-respiratoire lors du travail musculaire excentrique.

L’étude des courbes d’évaluation musculaire lors du travail excentrique, montre que la force augmente avec l’étirement du complexe musculo-tendineux pour atteindre son maximum près de la position extrême rendue possible par la machine.

On peut en conclure que la force développée lors du travail excentrique dépend des myofibrilles. Le tendon sert à transmettre cette force au segment de membre, alors que la force développée lors du travail excentrique est fonction de la résistance à l’étirement du tissu conjonctif de soutien, du tendon et du tissu musculaire.

II -Travail musculaire excentrique et lésions musculo-tendineuses

Le travail excentrique induit des lésions musculaires d’origine mécanique et métabolique. Les physiologistes nous l’ont appris. Il est logique de penser qu’un travail musculaire excentrique prolongé créé une anoxie au niveau de la myofibrille et du ténocyte. Il se créé également une diminution de la résistance musculaire à l’étirement, source de micro-ruptures du tissu conjonctif de soutien. Des biopsies réalisées dans les suites d’un travail excentrique prolongé mettent en évidence une nécrose cellulaire associée à une désorganisation du tissu conjonctif de soutien.

Nous ne pouvons imaginer aujourd’hui de lésions du tissu conjonctif de soutien et du tendon sans travail musculaire excentrique.

Soit le travail est prolongé, il est alors responsable de tendinites et du Delayed Onset Muscular Soreness qui se traduisent par des douleurs du tendon et du muscle dans les heures qui suivent l’exercice, soit il s’agit d’un travail d’intensité maximale où les possibilités d’étirement du muscle sont dépassées. On aboutit, alors, aux lésions musculaires graves, définies par l’atteinte du tissu conjonctif de soutien, aux ruptures et aux luxations tendineuses.

Lors de la pratique sportive, le muscle travaille en excentrique

– Contre la pesanteur : travail des fessiers, du quadriceps et du triceps lors de la course, d’une impulsion et/ou d’une réception de saut.

– Contre l’inertie. Travail freinateur des antagonistes au mouvement.

Ces deux circonstances correspondent, pour nous, aux deux mécanismes lésionnels rencontrés lors de la pratique sportive.

1°) La lésion se produit sur le muscle antagoniste au mouvement.

Il y a déséquilibre entre le muscle agoniste effecteur, fort, qui travaille en concentrique et le muscle antagoniste, faible, qui a une activité freinatrice excentrique. Le claquage des ischio-jambiers ne survient jamais lors d’une flexion résistée du genou. La lésion survient lors du shoot ou de la course, lors du mouvement associé d’extension de genou et de flexion de hanche.

Nous évaluons, chez nos sportifs, le rapport quadriceps concentrique/ischio-jambiers excentrique. Notre objectif est de mettre en évidence le rapport à partir duquel le risque de claquage existe. Nous étudions le rapport des valeurs maximales obtenues à la vitesse de 90°/sec et le rapport à 20° de flexion de genou car plus on se rapproche de l’extension plus le risque de lésion existe.

Même s’il est trop tôt pour établir des statistiques fiables, nous avons noté sur le rapport quadriceps concentrique 20°/ ischio-jambiers excentrique 20°, des variations individuelles importantes (de 0,46 à 0,76). Tous nos patients ayant dans leurs antécédents un claquage récent des ischio-jambiers ont un rapport > 0,60.

L’épaule du sportif nous a également beaucoup intéressés de part ses contradictions.

En effet, le conflit sous-acromial suppose une prédominance des abducteurs de l’épaule sur les adducteurs et la présence de lésion au niveau de la bourse séreuse et du plafond de la coiffe. Or, les chirurgiens sont tous unanimes pour localiser la lésion au niveau du plancher de la coiffe des rotateurs chez le sportif. Dans le même temps, les évaluations musculaires réalisées chez le sportif montrent une nette prédominance des rotateurs internes, du triceps et des abaisseurs sur les rotateurs externes, le biceps et les élévateurs d’épaule. Il y a là une invraisemblance qui explique les mauvais résultats de la chirurgie de « décompression » de la coiffe chez le sportif. De même, la rééducation qui consiste à renforcer les abaisseurs de l’épaule nous semble « farfelue ».

Aujourd’hui, nous expliquons la survenue de lésion de la coiffe chez le sportif par l’incapacité de cette dernière à contrôler l’action concentrique des muscles effecteurs du geste sportif. Ceux-ci sont devenus trop forts pour leurs antagonistes.

2°) La lésion se produit sur un muscle agoniste

Les muscles concernés par la pathologie sont ceux qui travaillent de façon violente ou prolongée en excentrique lors des pratiques sportives.

La tendinite d’Achille s’explique par une activité excentrique prolongée lors de la course, alors que le tennis-leg ou la rupture d’Achille nécessite la triple association : flexion dorsale de cheville, contraction musculaire et extension de genou. L’aponévrose plantaire est toujours sollicitée en étirement lors de la course.

Les tendinites de l’appareil extenseur touchent essentiellement les sports dits de détente: basket, volley, haltérophilie… Ces sports demandent, lors de l’impulsion et/ou de la réception du saut un travail freinateur du quadriceps. Lors du revers lifté, au tennis, il existe un étirement maximal du 2ème radial (extension du coude + flexion du poignet). L’activité du 2ème radial lors du revers à deux mains est identique à l’activité de ce même muscle lors du revers à une main, mais lors du revers à 2 mains, le travail du 2ème radial est concentrique (flexion du coude + extension du poignet). Les joueurs à deux mains sont protégés vis à vis du tennis elbow.

Quant aux lésions musculaires graves du droit antérieur, elles ne peuvent survenir que sur un démarrage ou lors d’une contraction brutale résistée sur un muscle étiré. Il n’y a aucune raison de voir une atteinte du tissu conjonctif de soutien en fin de frappe de balle. D’où l’importance, afin de faire un diagnostic de gravité, de bien comprendre le mécanisme lésionnel.

III – Travail excentrique et renforcement musculaire

Les auteurs Nord-Américains s’interrogent sur la supériorité supposée du travail excentrique lors d’un gain de force musculaire. Il semble que le travail excentrique autorise un gain appréciable de force musculaire concentrique, statique et excentrique. Bien qu’il soit difficile d’être affirmatif dans ce domaine, il est logique de penser que le travail excentrique améliore la force concentrique par sollicitation des fibres IIb. Il est certain cependant que le travail excentrique améliore la résistance à l’étirement du tissu conjonctif de soutien. C’est la base du travail de FYFE et STANISH sur le traitement des tendinites par le travail excentrique (voir protocole d’auto-rééducation des tendinopathies d’Achille).

Nous avons noté chez 20 sportifs, lors d’évaluations musculaires concentriques et excentriques du quadriceps, que le rapport quadriceps concentrique/quadriceps excentrique est fonction du sport pratiqué par nos patients, 10 sujets sollicitant leur quadriceps de façon excentrique lors de la pratique sportive (ski, basket, hand) ont un rapport quadriceps concentrique/quadriceps excentrique à 0,58 (0,54 à 0,63) alors que 10 autres sportifs pratiquant (football, rugby) ont un rapport à 0,75 (0,70 à 0,83).

C’est la preuve que le travail excentrique améliore surtout les possibilités musculaires excentriques, plutôt que la force développée par le tissu contractile, évaluée lors du test concentrique.

IV – Les indications du travail musculaire excentrique

Le travail musculaire excentrique a pour objectif d’améliorer la résistance du complexe musculo-tendineux.

Il doit donc être prescrit :

– Dans les suites de lésions musculaires et tendineuses opérées et non opérées

– Dans le cadre de la prévention des lésions musculaires et tendineuses

– Dans le cadre des instabilités articulaires. En effet, le muscle est un stabilisateur actif. Lors du mécanisme d’entorse, il est sollicité en étirement. La rééducation proprioceptive a pour le moment remplacé ce manque de travail musculaire excentrique analytique. Aujourd’hui il faut proposer un travail excentrique des péroniers latéraux (entorse de la cheville), du vaste interne (instabilité de rotule), des rotateurs externes du genou (instabilité rotatoire du genou), du sous-scapulaire (luxation antéro-interne de l’épaule)…

Cependant, son utilisation doit être prudente car, comme tout bon médicament, il a des effets secondaires. Pour cette raison, toute notre rééducation excentrique se fait sur une machine isocinétique réglée en mode passif. Le mouvement est imprimé par la machine à vitesse constante. Les amplitudes du travail sont programmées. On demande au patient de résister uniquement dans le sens faisant travailler le muscle choisi (exemple : mouvement passif d’extension du genou freiné par les ischio-jambiers).

Les protocoles utilisés dépendent de la pathologie traitée.

1°) Prévention de la pathologie musculo-tendineuse

En réalité, tout se passe comme si le muscle possède une résistance maximale à l’étirement et un « coefficient d’usure ». Si le travail demandé au complexe musculo-tendineux dépasse ses possibilités, la lésion survient. Moins la résistance est grande, plus le coefficient d’usure est grand, plus le risque lésionnel est important. Le froid diminue la résistance du tissu musculo-tendineux d’au moins 20% (étude en cours). D’autres facteurs interviennent. Le vieillissement en fait partie. Des facteurs locaux et généraux doivent également influer. Il semble logique de renforcer les possibilités musculaires excentriques par un programme progressif (cas clinique N°1). L’augmentation de la résistance à l’étirement est quantifiable par une évaluation musculaire. Elle retarde la survenue de la lésion. Il est impossible, à ce jour, de connaître les moyens d’intervenir sur le « coefficient d’usure ». On peut cependant sans prendre de gros risque, conseiller une bonne hygiène de vie. Comme on peut le constater, il y aura toujours une quantité ou une intensité de travail responsable de lésion musculaire ou tendineuse.

Le protocole que nous utilisons dans le cadre de cette prévention, est le suivant :

Nous effectuons 2 cycles de 3 semaines de travail au rythme de 3 séances/semaine. Nous commençons chaque cycle par une évaluation de la résistance maximale à l’étirement (RME) afin d’établir les règles du travail. 3 x 15 contractions sont réalisées lors de la séance.

Semaine 1 : travail à 30% de la RME

J1 : vitesse = 30°/sec

J2 : 60°/sec –

J3 : 90°/sec.

Semaine 2 : travail à 50% de la RME

Semaine 3 : travail à 70% de la RME.

 

BIl est souhaitable d’effectuer cette prévention avant la reprise de l’entraînement. Plus le sujet est jeune, meilleur sera le résultat de ce programme. Encore faut-il respecter la croissance de l’enfant et interdire ce type de travail avant 15 – 16 ans.

2°) Traitement des lésions tendineuses et musculaires opérées ou non opérées. Renforcement musculaire dans le cadre des lésions ligamentaires.

Nous utilisons dans ces différents cadres le même protocole.

STANNISH commence le travail excentrique dans le traitement des tendinites quand l’étirement passif est indolore. Il admet la survenue de douleurs lors de la dernière répétition  » no pain, no gain ». Pour notre part, nous sommes opposés à la survenue de douleurs lors ou au cours du travail musculaire excentrique, car cela traduit une souffrance du tendon ou du tissu conjonctif de soutien.

Nous pensons qu’en plus de l’indolence lors de l’étirement passif, le travail excentrique doit être débuté quand la contraction statique en position extrême de travail est indolore.

Après chirurgie tendineuse (cas clinique N°2) le travail excentrique n’est jamais envisagé avant la 12ème semaine post-opératoire.

Nous évaluons la RME en début de chaque semaine. La contraction maximale doit être infra-douloureuse. Nous demandons 3 x 15 répétitions.

Semaine 1 : travail à la vitesse de 30°sec.

J1 : 30% de la RME – J2 : 50% – J3 : 70%

Semaine 2 : travail à la vitesse de 60°/sec

Semaine 3 : travail à la vitesse de 90°/sec.

Le programme se poursuit jusqu’à obtention d’une résistance comparable au côté sain. Nous n’avons jamais noté de douleurs musculaires ou tendineuses pouvant remettre en cause nos protocoles. La durée de la séance varie en fonction de la vitesse de travail. Entre chaque série de 15 répétitions, un repos de 1 minute est nécessaire et suffisant. Pour une vitesse de 60°/sec, l’amplitude de travail étant en générale de 90°, le temps passé sur la machine est de 4’15 » dont 1’07 »5 de travail musculaire effectif

Conclusion

Le renforcement musculaire excentrique est le seul mode de travail permettant une amélioration de la résistance à l’étirement du complexe musculo-tendineux. Son utilisation se justifie dans le cadre du traitement et de la prévention des lésions musculo-tendineuses. Il est également indispensable de le programmer dans les suites de lésions ligamentaires afin d’améliorer le rôle de stabilisateur du muscle. Cependant les protocoles utilisés doivent être quantifiés et contrôlés afin d’éviter la survenue de douleurs musculaires ou tendineuses