Travail musculaire excentrique et raideur articulaire

Introduction

Travail musculaire excentrique sur dynamomètre isocinétique
Travail musculaire excentrique sur dynamomètre isocinétique

Dans les suites de chirurgie orthopédique une des priorités réside dans la récupération des amplitudes articulaires. Cela justifie une prise en charge précoce du patient et l’utilisation de moyens de prévention de la raideur et des techniques de gain d’amplitude (13). Cependant, il est parfois nécessaire d’avoir recours à un geste mobilisateur sous anesthésie ou à une arthrolyse chirurgicale (4,11).

Le but de ce travail est de proposer une nouvelle technique de gain d’amplitude se rapprochant des exercices dérivés de la méthode de KABAT grâce à l’utilisation du stimulus d’étirement (18).

Le problème majeur qui se pose au thérapeute lors du travail de la mobilité est la douleur. En orthopédie, à l’exclusion de toutes complications inflammatoires ou infectieuses, la douleur a pour origine un balayage articulaire lors du mouvement actif ou la position extrême (17). La théorie du gate-contrôle a permis de mettre au point des techniques de soins évitant ou inhibant les stimulations nociceptives (7). L’utilisation d’attelles motorisées permet un balayage passif et lent de l’articulation (1). La sensation douloureuse peut être inhibée par une autre information sensitive : stimulation trans-cutanée, contraction musculaire … (7,18).

Disposant d’une machine isocinétique d’évaluation musculaire Biodex qui autorise entre autres :

– un balayage articulaire lent

– l’utilisation du stimulus d’étirement

– la contraction musculaire volontaire

Il nous a semblé intéressant d’utiliser le travail musculaire excentrique isocinétique comme moyen de gain d’amplitude.

I – Bases théoriques

Les machines isocinétiques permettent de travailler à vitesse constante. La résistance s’adapte à tout moment à la force que développe le sujet afin de faciliter le mouvement dans un secteur angulaire potentiellement conflictuel (9).

Le travail excentrique est prescrit avec beaucoup de prudence. Pourtant le réflexe d’étirement est utilisé au début de la rééducation afin de faciliter le réveil musculaire (8,10). Les réticences des thérapeutes proviennent des complications rapportées dans la littérature après un travail excentrique maximal (3,6, 12). Le DOMS (Delayed Onset Muscular Soreness) apparait dans les 8 heures qui suivent le travail et peut persister jusqu’au 21ème jour (3, 12). Ce syndrome musculaire douloureux fait suite à un travail excentrique maximal réalisé à vitesse rapide. Il se traduit par une désorganisation des myofilaments, des microtraumatismes du tissu conjonctif et une libération d’hydroxyproline. Les lésions siègent essentiellement au niveau de la jonction musculo-tendineuse. Ce phénomène est réversible et s’accompagne d’une diminution importante de la force musculaire alors que le travail excentrique est considéré comme le mode de travail permettant le meilleur gain de force (3, 19).

De nombreuses théories sont avancées pour expliquer le DOMS. L’une d’entre elles nous paraît intéressante. Le travail excentrique maximal à vitesse rapide majore la raideur de la fibre musculaire par augmentation de la viscosité. La modification du milieu associé à l’hyperthermie liée à l’effort, est responsable des modifications rencontrées (12, 19).

Lors du travail sous maximal, le travail excentrique permet d’améliorer l’élasticité de la fibre musculaire. On note une diminution de la compliance et une augmentation de la vitesse de contraction (19).

Lors du stimulus d’étirement se créé un équilibre entre le réflexe facilitateur de la contraction musculaire provenant des fuseaux neuro-musculaires et le réflexe inhibiteur, du fait d’une augmentation de la tension développée, provenant des organes tendineux de Golgi. A vitesse rapide, le réflexe facilitateur prédomine alors que l’inverse se produit à vitesse lente. Ce mécanisme est bien connu des cliniciens : un étirement brutal augmente la spasticité alors qu’un étirement prolongé, doux permet d’assouplir un muscle spastique (18). Il est donc fondamental de demander un travail sous maximal à vitesse lente.

II – Les intérêts de la technique

Le gain d’amplitude a comme principal inconvénient d’être source de douleur. L’inhibition de la douleur est possible à tous les niveaux du système nerveux central (moëlle-épinière, substance réticulée, thalamus, cerveau). De nombreuses armes à visée antalgique peuvent être utilisées avec succès (médicaments, stimulation trans-cutanées, soutien psychologique…). L’intervention au niveau médullaire (théorie du gate-contrôle) est très séduisante. De par le travail excentrique, il existe lors du mouvement une stimulation des récepteurs musculo-tendineux, articulaires et cutanés. Cette profusion d’informations en provenance des fibres de gros calibre « noie » l’information sensitive nociceptive véhiculée par les fibres nerveuses de petit calibre. Ces stimulations persistent durant toute la durée de l’exercice, ce qui n’est pas le cas lors du contracté-relâché ou lors de la stabilisation rythmique. De plus, le patient a un contrôle visuel de l’effort fourni grâce à l’écran sur lequel s’affiche la quantification de son travail. Cette information par biofeedback nous paraît être également un gros avantage de cette méthode. Enfin, et ce n’est pas le moindre intérêt de cette technique, ce travail peut être effectué sur toutes les articulations et ceci dans toutes les directions du mouvement souhaité et à n’importe quel angle. On peut lutter contre un flexum de genou ou travailler le gain de flexion du genou dans des angles inférieurs à 75°. Cet angle correspond à l’angle minimal souhaité pour, techniquement, pouvoir appliquer les exercices dérivés de la méthode de KABAT.

III – Les différentes sécurités

1°) Intensité du travail

Le travail demandé est sous maximal. L’objectif n’est pas d’obtenir un renforcement musculaire mais plutôt d’améliorer l’élasticité musculaire du muscle antagoniste et d’avoir un effet inhibiteur sur les influx nociceptifs créés par le travail de gain d’amplitude.

Chaque semaine est calculée la 1RM excentrique. Nous notons le pic de couple maximal obtenu pour le ou les muscles étudiés lors d’une contraction excentrique maximale. Nous prenons 50% de la valeur obtenue (1/2 RM) et réglons la sécurité de la machine sur cette valeur. Si le patient développe, à un angle donné, un pic de couple supérieur à 50% du pic de couple maximal le mouvement est arrêté. En mode excentrique, si le pic de couple développé par le patient est inférieur à 10% du pic de couple qui bloque le mécanisme de la machine (1/2 RM) le mouvement est également interrompu. Nous sommes donc certains d’une force développée variant à tout point du mouvement entre 5% et 50% du pic de couple maximal possible (1 RM). Un effort insuffisant ou trop important interrompt l’exercice.

2°) Gain d’amplitude

Le gain d’amplitude est progressif. Il est possible de régler les limites du mouvement. En fonction de la tolérance du sujet, les butées sont modifiées afin de récupérer de la mobilité dans le sens du mouvement choisi. Au total, nous disposons de 4 sécurités qui garantissent au mieux ce type de travail.

1 – L’arrêt de la contraction musculaire

2 – Le développement d’un pic de couple trop important

3 – Une touche d’arrêt manuel du mouvement à la disposition du patient

4 – Un réglage des amplitudes par le kinésithérapeute.

IV – Les différentes techniques utilisées

Nous disposons du matériel isocinétique d’évaluation musculaire Biodex. Le travail s’effectue sur un sujet bien installé, en position assise, axe du dynamomètre en regard du centre articulaire, segment de membres sus et sous-jacents bien immobilisés. La vitesse du mouvement est de 10° par seconde. Nous proposons une série de 50 répétitions soit un temps de travail de 15 minutes environ.

Deux techniques de travail sont employées.

1°) Le travail isocinétique sur mode excentrique.

Le mouvement est initié par le groupe musculaire antagoniste du mouvement recherché (fléchisseurs pour l’extension et inversement). Le mouvement aller et retour nécessite un travail musculaire des antagonistes au mouvement. Si la force développée est trop faible ou trop forte, le mouvement s’interrompt (cf : ch III, 1). La compréhension et la collaboration du patient doivent être totales. Il est indispensable que le sujet puisse travailler les muscles agonistes et antagonistes en isocinétique. Aucune zone conflictuelle responsable d’une sidération musculaire importante, source d’arrêt du mouvement, ne doit exister.

2°) Travail excentrique sur mode passif.

Le mouvement se fait sur un mode passif. On demande au patient de freiner le mouvement qu’exécute la machine. On calcule la 1RM (pic de couple maximal) sur un effort maximal freinateur réalisé par le patient. On règle la sécurité à 50% du pic de couple maximal obtenu. L’absence de contraction musculaire, dans ce cas ne bloque pas le mouvement. On peut donc réaliser l’ensemble ou une partie du mouvement en passif pur. Cet exercice est moins contraignant. On ne demande au sujet une contraction musculaire des antagonistes que dans le ou les secteurs angulaires choisis à une intensité musculaire sous maximale (toujours inférieure à 50% du pic de couple maximal).

Tous nos patients qui justifient de l’utilisation de cette technique de gain d’amplitude commencent à travailler en excentrique sur le mode passif. En fin de progression, dans les indications choisies nous les faisons travailler en isocinétique sur mode excentrique. L’exercice commence dans les amplitudes réalisées par le patient. L’augmentation progressive des amplitudes permet un gain appréciable dans le sens désiré.